jeudi 10 mai 2018

Un peu d'histoire

Un peu d'histoire...

La Horaine* en 1943

*Nous parlons, dans cet article, de la "Horaine", première du nom, ancêtre (et sister ship)de la notre, qui servie entre 1938 et 1958 puis poursuivie sa carrière sous le nom de "Triagoz"

L'association a reçu il y a quelques jours un message du petit fils de Jean LeMeur dit P'tit Meur, gardien du phare de Triagoz et participant à l'évasion de "la Horaine" en 1943.
Celui-ci tient de son grand père le récit du passage de la 1ère Horaine vers Dartmouth en Angleterre en novembre 1943. Ce passage permit l'évasion de résistants français et de pilotes américains.
Il nous proposait de nous donner le récit écrit par son grand-père pour publication.
Bien sûr nous avons accepté et vous trouverez ce récit ci-dessous.


NB : Il s'agit La Horaine construite en 1938. Elle était au service des phares et balises et était utilisée pour le service principal des phares des Roches-Douvres et du Grand Léjon. Elle a été remplacée par l'actuelle "Horaine" en 1958.
L'ancienne fut rebaptisée "La Triagoz" et a effectué les relèves des phares des Sept-Îles et des Triagoz jusqu'en 1979.



La vedette La Horaine, la première du nom, celle qui servit à l'évasion de 1943, renommée La Triagoz, photographiée en 1977 à Lézardrieux par François Jouas-Poutrel, gardien du phare des Roches-Douvres pendant 21 ans






















La vedette La Horaine, la première du nom, celle qui servit à l'évasion de 1943, renommée La Triagoz, photographiée en 1977 à Lézardrieux par François Jouas-Poutrel, gardien du phare des Roches-Douvres pendant 21 ans


Le récit :

Juin 1940 fut un mois terrible pour la France et les Français. L’exode, impossible à décrire, civils et militaires ne pouvant disposer de moyens de locomotion encombraient les routes. Certains fuyaient devants les Allemands, avec des voitures à bras ou des brouettes pour emporter l’indispensable ; de temps en temps arrivait les escadrilles de chasseurs mitraillant cette cohue, apportant encore plus de panique, si possible.

Les communiqués de la radio ; qui ne se rappelle ce slogan « Radio Paris ment, radio Paris est allemand » ; ces nouvelles erronées apportaient encore le trouble dans les esprits.
Mais le 18 juin 1940, une voix se fit entendre à la B.B.C. de Londres ; cette voix fit naître un peu d’espoir dans le cœur des Français, elle effaçait la souillure de la poignée de mains de Montoire : Hitler-Pétain. Mais la méfiance, hélas, était réunie aussi; car l’on vit des personnes se mettre à la disposition de l’ennemi ; certains même se firent mouchards pour toucher les 30 deniers ; ils allèrent jusqu’à torturer leurs compatriotes. C’est sous ce climat que naquit la résistance.
Des tracts clandestins se trouvaient souvent sur le bord de la route, des personnes même en trouvaient dans leurs paniers ouverts; des quotidiens réguliers parvenaient à circuler.
Des gens de toutes opinions s’activèrent en commun avec les communistes, et Aragon a pu ainsi écrire ces vers : « Ceux qui croyaient et ceux qui ne croyaient pas ».
Les fusillade du mont Valérien et plus près celle de la carrière de sable de Chateaubriand résonnèrent dans le cœur des Bretons.
Alors en 1941, après divers tâtonnements le réseau Cohors-Asturie fut créé, bon nombre de trécorrois en firent partie, et dès ce moment les harcèlements commencèrent et s’amplifièrent jusqu’à la victoire.
Le couvre-feu était déclaré à 22h, les Allemands ne circulaient plus seuls, les collabos aussi n’étaient fiers qu’accompagnés des Allemands. Dès qu’un résistant apprenait qu’un tel était désigné pour le S.T.O. celui-ci était contacté et nanti de fausses cartes d’identité et planqué, soit dans une ferme où dans un chantier.
Des groupes F.T.P.F. furent organisés et des maquis se formèrent.
En 1942 des parachutages d’armes et d’agents de propagande furent effectués. Ces hommes parachutés et les aviateurs Alliés avaient un besoin de retourner en Angleterre. C’est ainsi qu’un service presque régulier fut créé à Carantec (Finistère) par M. Sibiril constructeur de navire.
Marie-Thérèse Le Calvez servit de pilote à Plouha, ici c’était les vedettes rapides gaulistes qui venaient contacter les résistants et prendre et laisser du personnel ; les marins de ces vedettes appelaient cela, « Venir sentir des Crêpes ».
Mais un jour Sibiril fut dénoncé ; mais avant d’être pris il put partir en Angleterre avec sa fille au début de novembre 1943.
A Lézardrieux, il y avait une belle et bonne vedette qui servait au ravitaillement des phares, son départ fut décidé, ce qui en privant les Allemands d’une unité aurait l’avantage d’envoyer des documents aux Alliés.
18 personnes étaient aussi à prendre à Gouermel , dont 4 aviateurs Américains parachutés dans la Somme, il y avait aussi 2 officiers de marine Française. Les autres étaient des jeunes allant s’engager au F.F.L.. Voici donc le départ décidé,il fallut former l’équipage sans donner l’éveil à certains marins du bord dont on doutait de l’acceptation; 4 hommes d’équipage; le patron, le mécanicien et 2 matelots; la consigne était de relever le gardien de phare Français au phare des Roches-Douvres, il y avait donc aussi le gardien montant; un quartier-maître Allemand était de garde à bord et devait les accompagner. L’acceptation du gardien descendant était sûr.
Pour être assuré d’avoir suffisamment de carburant on profita encore de la nuit de la matinée pour subtiliser 4 bidons de 50 l. de mazout au magasin ; de plus, on suggéra à l’Allemand que l’on pourrait profiter de la sortie en mer pour faire un peu de pêche, pour améliorer l’ordinaire de la maison, il accepta et déroba 2 autres fûts de mazout au magasin allemand ; les voilà partis, la mer était belle et la première partie du programme marcha très bien. Un gros lieu attrapé arrangea bien les choses, on proposa à l’Allemand de le faire cuire au phare et de le manger à bord, accord parfait. Des sourires narquois étaient sur les lèvres de l’équipage. Mais le temps se gâta, une pluie fine vint, gênant la visibilité.
Au phare, il y avait 3 marins allemand équipés de radio et pour tromper ceux-ci il fallait que la vedette fasse cap sur Lézardrieux jusqu’à être perdu de vue du phare. Ensuite, il fallait faire cap à l’Ouest vers Gouermel.
C’est à cette manœuvre que le coup se décida, les 2 marins français assaillirent l’Allemand et le pont étant glissant par la pluie les voilà parterre tout les 3 l’un sur l’autre, à ce moment un autre arriva avec du chloroforme et en un clin d’œil voilà l’allemand ensaucissonné.
Pendant ce temps la nuit est venue. On distinguait vaguement les sinuosités des collines et particulièrement une vieille tour qui était proche du lieu de rendez-vous fixé à 19h. La vedette croisa de 18h30 à 19h45 sans pouvoir repérer les 2 feux que les hommes à prendre devaient placer pour jalonner un couloir entre 2 îlots.
5 paires d’yeux scrutèrent en vain ; puis voyant l’heure tourner, la décision fut prise. Cap au Nord, en avant toute ; la bosse du canot en remorque fut coupée, une bouée de sauvetage et 2 bidons vides le tout marqué au nom de « La Horaine » fut laissé sur place.
Le lendemain à la pointe du jour voilà la vedette sur la côte Anglaise. A un moment donné ils aperçurent un sillage blanc, c’était une vedette rapide Anglaise venant droit dessus, lorsqu'elle  fut proche ils virent les 4 tubes de canons braqués dessus et les trous noirs de ses tubes restaient bien en ligne malgré la houle.
Mais au haut-parleur une voix en français sans accent procéda à l’arraisonnement :
-« Quel bateau ?»
-« La Horaine »
-« D’où venez-vous ?»
-« Lézardrieux »
-« Combien d’hommes ?»
- « 5 hommes d’équipage plus un allemand prisonnier »
Et alors cette réponse :
-« Un boche alors »
-« oui » répondirent-ils tous en chœur. A ce moment les pièces braquées sur « La Horaine » reprirent leur place dans l’axe du bateau et on vit les marins Anglais danser la gigue sur le pont.
-« Avez-vous besoin de quelque chose ? »
-« Non »
-« Quelle vitesse ?»
-« 10 nœuds »
-« Suivez-nous !»
-« Nous avons mission pour Torquay »
-« Ok, suivez-nous »
A l’entrée du port de Darthmouth la vedette Anglaise fit accoster « La Horaine » bord à bord ; 2 officiers et 2 marins Anglais armés de mitraillette montèrent à bord de « La Horaine ». La prise était faite ; mais l’accueil était très cordial. Après avoir expliqué à l’officier Anglais interprète à quoi servait « La Horaine » et qu’il y avait à bord du matériel allemand, il demanda s’il y avait des pavillons à croix gammés, on lui en fit voir deux, il en demanda un pour lui et demanda à mettre l’autre en dessous du pavillon français en tête de mât. C’est ainsi que « La Horaine » fit son entrée dans le port de Darthmouth. La vedette passa à proximité d’un groupe de vedettes rapides battant pavillon français ; ils furent interpellés par un second-maître qui demanda en Breton comment ça allait à Lézardrieux.
Ces vedettes étaient de celles qui venaient « sentir l’odeur des crêpes ». L’Allemand n’a pas vu cela, les Anglais lui avaient tout de suite bandés les yeux.
La suite, déjeuner, menu bifteack monstre, frites, bière, cake, cigare, une indigestion était à craindre, puis sieste, ensuite interrogatoire, et le soir en route pour Londres dans un centre d’épluchage, 15 jours d’internement, que les Anglais avaient baptisé « Patrie-school ».
Et l’affaire fut classée, les Allemands ayant trouvé les épaves de « La Horaine » et conclut à un naufrage. Chaque homme alla de son côté selon les embarquements. L’Allemand fut envoyé au Canada (d’où il profita pour porter un peu de brouille dans les familles de l’équipage en expédiant à sa mère un télégramme conventionnel de la croix-rouge ; mais l’officier allemand de Lézardrieux classa l’affaire comme ayant été capturé par les Alliés.
Cette vedette est en ce moment à Perros-Guirec et sers pour les phares des 7 îles et Triagoz ; une plaque de cuivre à bord porte les noms des 5 hommes de l’équipage.

LeMeur Jean